La fraternité à la lumière du cinéma

Interview de Vincent Aubin

La "fraternité" est au coeur de nombreuses rhétoriques : politique, religieuse, identitaire. C'est également le thème de notre cycle d'analyse filmique "Fraternité et rivalité" qui interroge la "vraie" fraternité - celle que je n'ai pas choisie. De cette fraternité originelle, qu'est-ce que le cinéma a à nous dire pour aujourd"hui ? Vincent Aubin, agrégé de philosophie et qui co-anime le cycle avec Paul-Etienne Chavelet, répond à nos questions. 

 

Pourquoi avoir choisi le thème de la fraternité pour le cycle d'analyse filmique ?

Vincent Aubin : Au moyen du cinéma, c'est la fraternité charnelle que nous souhaitions interroger, celle qui est précisément occultée lorsque nous parlons de la "fraternité" au sens de la devise républicaine. Il nous semblait que, lorsqu'un mot, et l'idéal qu'il veut exprimer, tend à perdre son évidence, il fallait revenir au sens originel. Nous avons d'ailleurs été surpris, en préparant ce nouveau cycle, de ne pas trouver de film français capable de figurer au programme. Un peu comme si la "patrie des droits de l'homme" ne savait pas trop quoi faire, sur le plan artistique, des liens du sang...

La fraternité fait également l'objet de la rhétorique de Daech dans sa revendication des attentats. Quel est le principe de cette fraternité ?

V.A : En effet, dans le communiqué revendiquant les attentats de Paris au nom de Daech, on pouvait lire ces mots glaçants : « Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut… » Dans la rhétorique de Daech, le « frère » est celui qui tue pour moi et qui meure pour moi. C’est une fraternité intimement tournée vers la mort : devenir « frères », c’est devenir solidaires dans la disposition à tuer et à mourir. Elle a pour forme propre d’être une fraternité sans filiation, une fraternité qui ne renvoie pas à une paternité, et donc à la dette d'une vie reçue. On touche là, me semble-t-il, à ce qu’on peut appeler l’hyper-modernité de Daech — au rebours de l’idée complaisante et superficielle voulant que le jihadisme soit une retombée dans une forme archaïque de religion, un retour au passé. 

Mais il existe aussi une fraternité républicaine, qui est censée pouvoir donner un contenu à notre "vivre ensemble" ?

V.A : L'idée républicaine est celle d'une fraternité universelle, c'est-à-dire d'une égalité foncière de tous les hommes, mais habitée, au-delà de l'égalité juridique, par une bienveillance étendue à tous. C'est la capacité à voir en tout homme "mon semblable, mon frère" et dans laquelle on peut voir une version sécularisée de la fraternité chrétienne. Or, tant que la France figurait, aux yeux des Français eux-mêmes, une sorte de concentré de l'humanité future, il était relativement facile de fonder un "vivre ensemble" sur la fraternité. Car, par une heureuse coïncidence, mes "frères" en république partageaient avec moi une origine commune, une histoire, des aïeux qui étaient "nos ancêtres les Gaulois"… Mais lorsque ce "grand récit" des origines tombe aux oubliettes de la déconstruction, nous nous retrouvons dans la situation où la "fraternité" et le "vivre ensemble" font plus l'effet d'un prêche-prêcha plus ou moins sincère, d'une incantation plus ou moins désespérée, que d'un idéal rassembleur et crédible. 

Voir les prochaines dates du cycle d'analyse filmique sur le thème "Fraternité et rivalité"

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