Honneur aux maîtres !

Salle de classe, Unsplash

La « rentrée des classes ». Ces derniers jours, ce sont près de douze millions d’élèves qui ont franchi les portes des écoles, des collèges et des lycées. Ce moment marque, avec sa part d’excitation et d’appréhension, non seulement pour eux mais aussi pour leurs parents et pour l’ensemble de la société, la fin des « grandes vacances ». De la maternelle à la terminale, chaque élève voit s’ouvrir devant lui une nouvelle année, des promesses de rencontres, de camaraderies, de découvertes, de progrès. C’est un commencement. Et les commencements  autorisent des rêves, des espoirs, de nouveaux départs, des transformations. Si l’on en croit Platon, « le commencement est un dieu qui sauvegarde toutes choses » (Les Lois, livre VI).

Beaucoup d’entre nous gardent en mémoire le visage d’un professeur qui l’a particulièrement marqué, qui lui a donné une impulsion décisive, au moment où cela était nécessaire. Il arrive que des élèves, devenus à leur tour adultes, retournent voir leur ancien maître, parfois dix, ou quarante ans plus tard. Et il arrive aussi que la confiance réciproque que demande la relation éducative se transforme en amitié.

C’est aux professeurs que je voudrais consacrer cette première chronique de cette nouvelle année. Afin que nous prenions conscience de ce que nous devons à nos professeurs. Les confinements successifs ont d’ailleurs permis à beaucoup de parents de se rendre compte, si ce n’était pas déjà le cas, qu’enseigner le français, l’histoire ou les mathématiques, quel que soit le niveau (et les premières années ne sont pas les plus faciles) n’est pas aussi simple que cela pourrait en avoir l’air – que c’est un métier.

C’est un métier qui s’apprend, qui demande de longues années d’études, qui ne peut faire l’économie de l’expérience. Il faut du temps et de l’expérience – du métier – pour savoir faire attention à chaque élève, avoir la bonne attitude avec chacun, dans des situations à chaque fois inédites, pour être chez soi dans sa classe. C’est un métier au service de la liberté d’êtres jeunes, souvent vulnérables, parfois déjà profondément blessés par ce qu’ils ont eu à affronter. C’est un métier prenant. La présence dans une classe ne tolère aucun répit. C’est une attention de tous les instants. A tout moment, un incident peut dégénérer et la réponse du professeur doit à chaque fois être adaptée. C’est un métier qui entre mal dans le cadre des trente-cinq heures, qui déborde sur les soirées et les week-ends. Que de temps passé à corriger des copies, préparer une séquence de cours ou un voyage scolaire ! On y engage toujours un peu plus de temps, de labeur et d’amour que ce que demandent les contrats de travail.

C’est un métier qui échappe à toute évaluation. Quels sont les effets d’une note, d’une punition ou d’une parole d’encouragement ? Comment le professeur agit-il sur ses élèves ? Les oriente-t-il dans une direction ou dans une autre ? Il ne le sait pas, et c’est tant mieux. Il lui arrive de recevoir des messages, à la fin de l’année, de la part de ses élèves, des messages parfois bouleversants et qui le récompensent au-delà de toute mesure. Il arrive aussi qu’un ancien élève devienne professeur à son tour, et il est alors comblé.

Les professeurs donnent leur vie pour transmettre ce qu’ils ont eux-mêmes reçu. Ils transmettent une langue, une histoire, un passé nécessaires afin que les enfants (« les nouveaux », « oi neoi » disaient les Grecs) puissent trouver leur place dans le monde, déployer leur humanité et commencer quelque chose de neuf. Ils qualifient pour l’existence (1).

Les professeurs transmettent, au fil des jours, la rigueur de la pensée. Ils doivent sans cesse lutter contre l’agitation et la dispersion de l’attention, accentuée par les téléphones portables, la triche et le mensonge aussi. Ils éduquent à l’acte d’attention. Toute exaltation du « plus beau métier du monde » ne doit pas oublier que c’est un métier difficile. Eprouvant. C’est un métier où l’on commence par ne pas choisir où l’on va vivre. En effet, on peut réussir un concours (le CAPES) à Toulouse, devoir ensuite, pour valider ce concours, faire une année de stage en Alsace et, une fois titulaire, être muté à Melun, en région parisienne. Une heure de cours peut être épuisante. Il y a des professeurs qui souffrent, confrontés au chahut et à la hargne d’une classe (sans parler de l’attitude de certains parents, mais passons). Il faut savoir dompter une classe, car une classe n’est pas traversée que par de bons sentiments et la soif d’apprendre. C’est un métier trop peu considéré. Mesure-t-on bien, par exemple, tout ce que doit savoir un professeur des écoles, en sciences, en histoire, en littérature, en géographie, etc., les compétences pédagogiques qu’il déploie ?

Sommes-nous tellement obnubilés par le moment présent, par nos intérêts à court terme et nos satisfactions immédiates, si peu préoccupés par l’avenir de nos enfants, leur avenir personnel et l’avenir de notre patrie, et si peu intéressés par notre passé commun (avenir et passé, les deux vont de paire) pour ne pas considérer, avec admiration et gratitude, que les professeurs de l’enseignement primaire et secondaire mènent la tâche la plus essentielle de toutes ?

Bonne rentrée !

Pascal David, o.p., est philosophe

Il publie Simone Weil, un art de vivre par temps de catastrophe (Peuple Libre, 2020)

 

(1) On pourra lire : Hannah Arendt, La Crise de la culture (Gallimard) ; Catherine Chalier, Transmettre, de génération en génération (Buchet Chastel) ; Marguerite Léna, L’esprit de l’éducation (Parole et Silence) et Le Passage du témoin (Parole et Silence).

 

 

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