Le président : Jupiter ou Prométhée ?

Au printemps prochain, les citoyens français éliront le successeur d’Emmanuel Macron, probable candidat à un second mandat. Le « monarque républicain », clef de voûte des institutions républicaines, arbitre distant des joutes politiques et résolu à rester « au-dessus de la mêlée », est assurément le protagoniste du drame politique en V actes (à ce jour) ouvert au lendemain de la bataille de Valmy, en 1792. La constitution de 1958, dépoussiérée en 2007, ne s’y trompe pas : après avoir rappelé que la nation est seule souveraine (titre 1), elle questionne les pouvoirs « du président » (titre 2). Sa grande sœur, en 1946, débutait au contraire par un inventaire des pouvoirs « du parlement ».

Fin stratège, le général de Gaulle sut tirer parti des querelles partisanes de cette IVème République injustement « mal aimée », pour tailler au nouveau régime une cote plus « présidentielle », conformément à la perspective qu’il avait tracée sans succès dans son discours de Bayeux en 1946. De retour aux affaires en plein bourbier algérien, et profitant de l’émoi causé par l’attentat perpétré contre lui par l’OAS au Petit Clamart (1962), De Gaulle invita le peuple français à décider par référendum s’il consentait à élire directement le chef de l’État. Les Français acquiescèrent, faisant craindre à certains une dérive plébiscitaire et bonapartiste, alors qu’une motion de censure à l’Assemblée provoquait la chute du gouvernement.

 

Tel Jupiter sur l’Olympe ?

Dans le cercle étroit, et rétréci, des démocraties représentatives, le président français semble investi de missions d’une rare gravité, et d’un pouvoir immense. Il doit préserver l’intégrité de notre territoire, conserver la République « une et indivisible », exécuter les lois votées par la représentation nationale, en les promulguant au Journal Officiel et en s’assurant que son administration les fait appliquer. Lui seul a le pouvoir de signer les traités qui nous engagent, de nommer aux postes clefs (les diplomates, le président de « feu » l’ENA, du CSA, art. 13 et 14) ; en tant que chef des armées, il peut décider d’engager la nation dans une guerre (art. 15), et depuis 1960 d’employer la force nucléaire pour infliger des dommages inacceptables pour l’ennemi.

Son pouvoir politique est considérable : il peut (art. 11) provoquer un référendum (sur une question constitutionnelle, l’adhésion d’un nouveau pays à l’Union européenne, un traité européen, etc.), dissoudre une Chambre (art. 12) qu’il juge hostile à son dessein (1962, 1968, 1981, 1988, 1997), et reste, contrairement à ses ministres, irresponsable pénalement pour les actes commis durant la durée de son mandat (art. 67).

Lointain héritier des rois qui ont fait la France, il entretient les vestiges légués par les princes absolus par-delà la Révolution : au pays de Montesquieu, et de la séparation des pouvoirs, il dispose encore du droit de grâce (art. 17) ; en terre laïque, il reste chanoine de Saint-Jean de Latran ; au cœur de la République une et indivisible, il conserve le statut de coprince d’Andorre ; et au pays de René Descartes, Claude Bernard, ou Auguste Comte, la pandémie de Covid-19 semble redonner au président, pilote du Conseil de Défense Sanitaire, des pouvoirs presque thaumaturgiques. Néanmoins le plus intriguant reste l’article 16 de la constitution : en cas de menace de guerre civile ou de désordre incontrôlable, le texte autorise, en accord avec les présidents des Chambres, le président à revêtir la plénitude des pouvoirs exécutif et législatif, mettant la République entre parenthèses. A ce jour, cet article n’a été utilisé qu’une fois, entre avril et septembre 1961, lors de la tentative de putsch des généraux d’Alger.

 

Un pouvoir en réalité bridé, et partagé.

En rester là ferait oublier les nombreux contrepouvoirs qui entravent la volonté d’un homme menacé d’hybris.

Le premier contre-pouvoir émane du gouvernement, lequel « conduit la politique de la nation » (art. 20). L’esprit veut que l’intendance du pays soit confiée au Premier ministre. La lettre fait que ce dernier est placé sous surveillance rapprochée (c’est le président, et non le Premier des ministres, qui préside le conseil des ministres). Mais tous les actes présidentiels sont contresignés par le Premier ministre, ou le ministre compétent. Beaucoup de nominations, y compris celles des ambassadeurs, sont le fruit d’un choix collectif. Que le président refuse de signer des décrets, comme le fit François Mitterrand en 1986 quand Jacques Chirac voulut hâter les privatisations, et modifier le droit du travail, ne paralyse pas le travail gouvernemental. Ce partage des tâches permet en outre le bon fonctionnement du pays en cas de cohabitation, sans que le président ne soit contraint à la démission. 

Le second contre-pouvoir vient du Parlement : depuis la réforme de 2007, l’opposition à la majorité présidentielle dispose d’une partie de l’ordre du jour à l’Assemblée nationale. Surtout par un vote aux deux tiers des deux assemblées, le Parlement mué en Haute Cour de Justice peut déchoir le président de ses fonctions « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».

Le troisième contre-pouvoir vient des institutions garantes de l’équilibre des pouvoirs et du respect de la constitution : en amont, le Conseil d’État (art. 36, 38, 39, 61a) donne un avis éclairé sur la politique menée, l’évalue et peut demander des ajustements. Récemment, il a enjoint le gouvernement à accélérer le rythme des réformes en matière environnementale pour tenir les engagements de la COP 21 de Paris (2015), et précédemment il avait jugé « insincère » le projet de réforme des retraites soutenu par le président lui-même. En aval, le Conseil constitutionnel (art. 56 et suivants) vérifie la conformité des lois votées et promulguées avec la constitution. Récemment, il a retoqué l’article 24 de la loi « Sécurité globale », comme il l’avait fait pour la loi « Avia ».

Il reste un dernier contre-pouvoir, moins connu mais tout aussi efficace : l’élection elle-même, qui impose une mise en concurrence du candidat-président avec des offres politiques alternatives. L’abstention, en ce sens, vaut adhésion au statu quo, et cautionne le bilan du président sortant.

Loin de dominer l’Olympe comme Jupiter, le président depuis le passage au quinquennat  (2000) semble subir le sort de Prométhée, promis à une éternelle souffrance, attaché à son rocher, pour avoir imprudemment tenté de voler le feu aux Dieux. S’il oublie sa condition (ni mortel, ni Dieu, mais simple Titan), il s’expose aux foudres de l’opinion, prompte à lui rappeler sa condition et son devoir : être le premier des citoyens et défendre l’unité de la nation.

Arnaud Pautet

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